La JOC

Paul Garcet reçoit les jocistes dans son bureau

A propos du Congrès de la J.O.C.


Quelques souvenirs sur la J. O. C.

par PAUL GARCET.


Le 25 août 1935 sera une journée de triomphe pour la Jeunesse Ouvrière Chrétienne. Ce jour-là se manifestera dans toute sa splendeur la force de ce mouvement de jeunes ouvriers belges qui rayonne sur les catholiques du monde entier.

A l’occasion de cette mémorable journée nous avons demandé à un « ancien », qui fut l’un des premiers aux côtés de l’abbé Cardyn, et qui vit naître et croître la J. O.C., de nous écrire en toute simplicité ces quelques souvenirs d’une grande activité mise au service de la plus belle des causes.


Écrire l’histoire et la vie jociste c’est vouloir résoudre un problème bien compliqué. Il y a tant d’impondérables, d’influences discrètes et par dessus tout il y a les grâces si mystérieuses de la Providence.

Tout cela rend bien difficile, même pour un ancien qui a vécu le mouvement à peu près depuis ses débuts, de suivre régulièrement le fil de l’évolution jociste et je ne m’étonne pas de voir surgir quelque fois d’exquises légendes...

Pour ma part je me bornerai à quelques souvenirs précis, laissant à d’autres le soin de compléter et de suppléer à mes trous de mémoire.

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Il y a à l’origine du mouvement, un petit grain de senevé qu’un jour un prêtre, alors vicaire à Laeken N. D., a déposé dans l’âme de quelques jeunes travailleuses et travailleurs.

Certes, le sort de l’enfance ouvrière et de l’adolescence ouvrière avait préoccupé déjà certains hommes d’oeuvres du XIXe siècle, mais il fallut qu’un prêtre, sorti du peuple, se posât le problème dans son ensemble et essayât une solution.

Personne, je pense, même pas l’Abbé Cardyn, ne se doutait au début que les premières enquêtes dans les impasses et dans les fabriques permettraient d’en dégager le programme et les méthodes jocistes.

Certes la formule jociste « par eux, pour eux, entre eux » a consacré une tendance naturelle qu’ont les travailleurs à s’associer en fonction de leur vie quotidienne, de leur milieu familial ou professionnel, mais de là à l’organisation actuelle, il y a de la marche. Que d’horizons nouveaux pour ces jeunes apprentis et apprenties : faire surgir devant eux leur vocation d’apôtres du travail, leur montrer la possibilité de transformer un atelier en un temple de sanctification, les rendre conscients de leur valeur, réagir contre la triste mentalité trop répandue dans le peuple que leur qualité de fils d’ouvrier les destinait fatalement à une vie moins digne, moins relevée ; faire de ces jeunes travailleurs de 14, 20 ans des chrétiens joyeux, copains, préoccupés de voir, de juger tous les besoins de leurs camarades et capables de ce fait d’être toujours d’une manière pratique au service des autres.

Actuellement, tout cela nous paraît assez naturel tant les résultats des années écoulées ont été probants, mais il faut se rappeler la critique, les incompréhensions de tout genre qui ont été semées généreusement sur notre route. Il a fallu même à certains les confirmations officielles du Pape Pie XI pour comprendre que « Les premiers apôtres des ouvriers seront les ouvriers... »

Laeken 1912-1920.

Laissons parler sur cette période héroïque d’avant-guerre, du lancement d’une nouvelle formule d’éducation populaire, l’abbé Cardyn, alors Vicaire à Laeken Notre-Dame.

« Comme je me rappelle les premières réunions dans la petite place de Madame Doucet ! C’était avant la guerre. On y étouffait littéralement. Il fallait ouvrir portes et fenêtres et encore l’air était irrespirable. La présidente avait vraiment « bel air ». Comme elle prenait son syndicat à cœur ! Je me rappelle la petite causerie qu’elle fit au syndicat de l’Aiguille sur « Son cher petit Syndicat » et comme tout le monde invités et membres, étaient épatés !

Le Syndicat de l'Aiguille à Laeken
Et que d’intérêt dans ce petit monde grouillant, aux yeux vifs, aux allures parfois garçonnières, aux manières à moitié déhanchées, souvent bien misérablement vêtues, hélas ! Tout le petit monde travailleur y était représenté, les rues les plus misérables de Laeken y avaient des déléguées : blanchisseuses, repasseuses, chocolatières, cigarettières, plumassières, fabricantes de cirage, de fagots, de boîtes à carton, de conserves, bonnes d’enfants coursières... que sais-je encore?

« Quelle révélation quand on les interrogeait : « Quel âge avez-vous ? Quand avez-vous quitté l’école ? Quel fut votre premier atelier ? Combien de temps y êtes-vous restée ? Pourquoi avez-vous quitté ? Où travaillez-vous ? Combien d’heures travaillez-vous ? Combien gagnez-vous par jour ? Comme chacune attendait avec impatience son tour de répondre ! Comme petit à petit l’intimité régnait, comme toutes demandaient à raconter leur petit conte, sans gêne, comme au confessionnal ! Quelle émotion aux premiers travaux si simples, si appropriés à leur âge, à leur condition, à leur mentalité ! Et puis les chanteuses qui s’improvisaient, les artistes qui se révélaient... toute l’âme populaire, avec sa naïveté touchante, s’y étalait. Ce furent des heures bien douces, bien fécondes, bénies du Bon Dieu ».

Ces lignes, extraites de la « Femme Belge » du Ier juillet 1921, ont la fraîcheur d’un renouveau dans l’âme de quelques adolescentes. Bientôt l’appel retentit aussi dans l’âme de quelques jeunes gens qui M. l’abbé Cardyn conseilla d’entrer d’abord dans une Conférence de Saint Vincent de Paul pour pouvoir pénétrer dans les quartiers. Durant deux ans les enquêtes permirent de se rendre compte de la pénible situation morale et sociale des jeunes travailleurs et d’établir un premier cahier de revendications.

Un Cercle d’Études vit bientôt le jour et le syndicat des apprentis fut constitué en 1915 dans les locaux du patronage de Laeken à la rue Mellery, sous le titre « Hoop der Tœkomst » (Espoir de l’Avenir).

Hoop der Tœkomst
Que de bonnes heures nous avons vécues pendant la guerre dans ce local et le souvenir de Fernand Tonnet, front, était entretenu comme celui d’un grand frère.
Le Comité, comme les membres étaient de simples travailleurs payant déjà une cotisation de 0,05 par semaine et qui assurait une légère indemnité journalière aux plus nécessiteux et couvrait les modestes frais administratifs.

Les principes d’action, comme d’ailleurs les bases administratives ont servi de point de départ à la J. O. C. actuelle.

Nous avions même un bureau de placement qui parvenait, malgré la guerre, à rendre service à quelques-uns, grâce à l’appui de sympathisants.

Nous avions aussi nos petites journées d’études dans une classe et les rapports présentés ne visaient pas à l’éloquence de rhétoriciens, mais plutôt à la service de ceux qui vivent dans les réalités professionnelles ou familiales, heureux d’exposer leur situation parfois tragique et de suggérer les améliorations à y apporter.

Ce petit noyau devait bientôt essaimer dès le retour de Fernand Tonnet de la guerrre, Libéré en août 1919, il est engagé comme Secrétaire de M. Cardyn alors Directeur des Œuvres Sociales. Déjà la nécessité d’une organisation spéciale pour jeunes travailleurs est admise par certains dirigeants du mouvement ouvrier.

Les nouveaux locaux des Œuvres Sociales, situés à la Place Fontainas (actuellement « Maison des 8 heures ») abritèrent bientôt, sous l’escalier du Ier étage, les premières réunions d’un Cercle Études étendu à quelques nouveaux travailleurs de différentes paroisses. Toutes les professions y étaient représentées.

Quelque temps après vinrent nous joindre Jan Schellekens, le futur secrétaire général de la K.A.J., alors apprenti et le serrurier Jacques Meert, futur Secrétaire-Général de la JOC, qui devait ouvrir bien des portes au mouvement Jociste.

Cette équipe de jeunes de 16 à 20 ans se dénomma la « Jeunesse Syndicaliste » et rayonna sur Bruxelles d’abord.

Des sections surgissent progressivement et la sympathie et la... défiance se montrent ; dès 1920 la Fédération Bruxelloise est créée, le second stade du lavement est atteint.

Bien des succès et bien des revers devaient attendre les premiers pionniers et le lancement national et définitif de la J. O. C. en 1924 a été une récompense inespérée pour ceux qui avaient si souvent travaillé, semblait-il, en vain.

La propagande.

Dès juillet 1924, la J. O. C. est lancée. Le 21 septembre 1924, le Congrès de l’A. C. J. B. de Charleroi avait sa première section spéciale pour jeunes travailleurs. Les premiers groupements jocistes pointent dans le pays et la curiosité et la sympathie remplissent la grande salle des Ouvriers Réunis. C’est dans un délire d’enthousiasme que la J. O. C. y est baptisée et pour la première fois les camelots jocistes vendent dans toutes les maisons du pays noir « La Jeunesse Ouvrière ».

Les boutonnières rougissent du nouvel insigne jociste.

La propagande s’étend à tout le pays. Tous les dimanches et les soirs de semaine, c’est la grande randonnée, partout on découvre de nouveaux horizons pour les Jeunes Travailleurs, partout c’est l’enthusiasme, la volonté de faire connaître le programme jociste. Les adhésions affluent au Secrétariat Général, les volontaires ne peuvent suffire.



Le premier employé jociste est nommé en 1925 ; malgré cela tous les soirs c’est l’envahissement de nos mansardes par les collaborateurs volontaires : adresses à écrire, journaux à découper, « La Jeunesse Ouvrière » à expédier, etc... C’est la ruche bourdonnante...

Mais avec le « Bulletin des Dirigeants » le travail se précise, il ne suffit pas de commencer, il faut poursuivre. Les contacts fréquents avec les sections sont nécessaires, le premier propagandiste rétribué par le mouvement est nommé à Namur en 1926, suivi bientôt d’autres (actuellement ils sont 25 ?). Ils assurent en même temps le minimum administratif indispensable. C’est un rude travail d’éducation qu’il faut entreprendre et les aumôniers locaux qui ont compris leur rôle discret voient avec joie des personnalités chrétiennes surgir parmi ces jeunes travailleurs dont on n’attendait pas beaucoup.

Les manifestations de masses, assemblées générales, se complètent bientôt d’un travail de militants dans les Cercles d’Études. Ce sont avant tout des cercles d’action où chacun prend part aux enquêtes, fait les visites à domicile nécessaires, essaye de résoudre pratiquement les difficultés soulevées par un copain, c’est de la formation continuelle en fonction de faits quotidiens, en un mot, c’est du vécu ?

Ainsi se poursuivra ce travail en cascade, voir, juger pour agir et faire agir.

La J. O. C. F.

Ier Février 1925. Lancement officiel du mouvement sœur.

Les jeunes travailleuses, qui les premières ont commencé le « Petit Syndicat », adoptent la formule nouvelle « J. O. C. », avec les modalités nécessaires au tempérament féminin.


JOCF Laeken
Faut-il dire que les jeunes gens ont salué avec une joie un peu... intéressée leurs sœurs jocistes. Même foi ! Même idéal !

Avec elles s’ébaucheront demain de nouveaux foyers, avec elles ils réaliseront les familles chrétiennes intégrales, avec elles ils continueront leur apostolat au foyer d’abord, dans les organisations sociales et la cité ensuite. Les fiançailles, les mariages jocistes sont devenus aujourd’hui réalité et la seconde génération jociste dira demain la valeur des méthodes éducatives de la J. O. C.

Les Récollections et les Retraites.

Les préoccupations surnaturelles sont toujours restées dominantes dans le mouvement.

Les récollections pour jeunes travailleurs ?

Cette formule paraît aujourd’hui très naturelle, admise par tous. Que n’en était-il ainsi il y a 15 ans ? On nous prenait quasi pour des jeunes gens qui voulions faire de la religion de classe et plusieurs ne croyaient pas aux possibilités de vie intérieure chez de jeunes ouvriers. Et cependant ? Il suffirait de laisser parler tous ces récollectants de 16 à 20 ans qui consacraient leur dimanche et leur argent de poche pour passer quelques heures de calme et de recueillement dans un couvent, dans une Abbaye et essayer de faire de leur foi un costume pour tous les jours.

Il suffirait d’interroger nos prédicateurs, tel M. l’Abbé Leclercq, notre premier Prédicateur de 1920. Il suffirait de voir l’édification des Pères des si hospitalières Abbayes de Grimbergen, Maredsous, Mont-César, Clervaux, Forges, Fayt, Tronchiennes, etc... pour être fixé sur les résultats d’une méthode spirituelle adaptée au genre de vie des Jeunes travailleurs.

Mais ce qui dépassait les espérances, c’est que depuis cet effort de recueillement, un nombre chaque jour plus conséquent de jeunes travailleurs ont leur Directeur de conscience.

Faut-il s’étonner dès lors que des vocations sacerdotales et missionnaires aient empoigné quelques-uns des meilleurs d’entre nous...

Cette formule a été une paisible révolution et reste la clef des succès jocistes.

Notre journal.

Ce n’était ni un quotidien bien à la page, ni un hebdomadaire supérieurement illustré, c’était au début un respectueux mensuel qui s’intitulait : « La Jeunesse Syndicaliste ».

Son rédac-chef avait l’expérience... .à acquérir, et ses collaborateurs volontaires fournissaient de la copie... d’apprentis.

Fautes de correction, numérotage inexact, parution plus ou moins régulière suivant l’état de la caisse, changement d’imprimeur, tout cela forgeait les journalistes en herbe. Je dois à la vérité de dire que nos jeunes syndicalistes ont toujours été d’une magnifique indulgence pour « leur » journal.

Ce petit journal était combatif à ses heures, et il nous souvient de campagnes menées contre l’immoralité qui régnait dans les ateliers de certaines firmes, même catholiques, ou contre certains journaux « bien pensants ». Tout cela nous valait quelques volées de bois vert avec tout l’agrément que cela comporte pour des jeunes.

« La Jeunesse Syndicaliste » a vécu ainsi jusqu’en 1924 et dès le lancement officiel de la J. O. C. elle a pris titre « La Jeunesse Ouvrière », c’était plus large, de nature à s’introduire plus facilement dans tous les milieux de jeunes travailleurs.

Dès ce jour, les clichés viennent renforcer les articles et la régularité exemplaire de la parution qui devient bimensuelle astreint le rédac-chef à un travail plus considérable.


Le 11 novembre 1928 voit enfin le Ier J. O. C. dans sa toilette d’hélio et depuis c’est la revue hebdomadaire qui a conquis par son cran et par sa présentation, la sympathie de tous, même des milieux adversaires, les apprentis d’hier sont devenus ouvriers...

Je crois pouvoir dire que JOC a conquis non seulement les jocistes mais aussi les familles de nos membres qui sont souvent loin d’être chrétiennes ou de partager nos idées sociales.

Signalons que nos amis d’Anvers ont dès 1920 lancé à travers tout le pays flamand, leur « Jonge Werkman » qui a connu, comme notre journal, toutes les joies d’un dur apprentissage.

Les grandes assemblées nationales.

A côté de contacts locaux entre jeunes travailleurs sous forme de réunions locales ou fédérales, il était nécessaire de lancer des assemblées nationales. Il fallait donner à nos types un esprit dépassant leur clocher ou leur région ; les Congrès jocistes ont favorisé cette mentalité de réconfort, de confiance dans la puissance du mouvement. Les jocistes d’Arlon et de Verviers ont entendu ce que réalisaient, grâce au mouvement, leurs copains de Mouscron ou de Tournai, ils ont lié connaissance, ils sont retournés chez eux avec l’assurance que la J. O. C. travaillait, que son action débordait leur paroisse et qu’il ne fallait plus craindre d’être isolés.

Ah ! Le premier congrès jociste à Bruxelles ! La salle de fêtes de la rue Plétinckx, était pleine à craquer. Pour la première fois peut-être dans l’histoire des jeunes travailleurs, on voyait 500 de ceux-ci réunis pour discuter entr’eux avec ardeur, le programme de leur mouvement. Us apportaient les précisions sur leur vie rude d’apprentis et suggéraient une série d’améliorations à y apporter. C’étaient des jeunes de 15 à 20 ans...

L’audace fut à son comble lorsque l’Assemblée Générale se clôtura par un grand discours, non certes d’une haute personnalité comme il était d’habitude dans les Congrès qui se respectaient, mais cette fois par un des nôtres, encore en pantalons courts. Ce fut une ovation sans fin et la sonnette énergique du Président Tonnet retentit pour une fois, en vain.

Après le Congrès d’Avril 1925, ce fut en septembre la Semaine Sociale de Fayt. Dans le train qui nous y conduisait le R. Père Rutten se réjouissait de voir enfin quelques jeunes assister aux semaines sociales. Au lieu de « quelques-uns », nous fûmes 170 et durant quatre jours ce fut une véritable école de Chefs. Signalons en passant que le Père Pro, massacré en 1927 au Mexique, fut des nôtres à Fayt.



Vint ensuite le Congrès de Namur en 1926 au cours duquel les révélations les plus sensationnelles furent faites par de jeunes travailleurs sur l’immoralité dans les milieux de travail. Ce fut vraiment une révélation, non tant pour ceux qui en étaient journellement les victimes, mais pour l’opinion publique et pour les personnalités qui avaient voulu participer à nos travaux et nous savons que plus d’un patron a compris dès ce jour qu’il avait vis-à-vis des jeunes travailleurs des responsabilités morales engagées.

Louis Dereau
Louis Dereau, jeune métallurgiste, termina son discours en déclarant au nom de tous les jocistes « qu’ils seraient les missionnaires en toile bleue et aux mains noires, mais à l’âme blanche et rayonnante ».

L’organisation matérielle de ce premier Congrès des 2000 fut une excellente école de débrouillardise et notre premier propagandiste fédéral, Fernand Degives, s’en tira jocistement.

Le clou de la seconde Semaine d’Études tenue au Collège Saint-Michel à Bruxelles fut le lancement officiel du chant jociste, composé par le R. P. Débauché et mis en musique par un des premiers propagandistes du mouvement syndical chrétien, Frans Partous. Cette fois nous avions notre « Internationale ».

Frans Partous
En 1927 la S. E. de La Louvière avec 400 participants et une nombreuse délégation de prêtres français, aumôniers des premières sections, souligna l’urgence pour le moment de favoriser les collaborations avec tous les milieux sociaux.

1927 se clôtura par le triomphe de la J. O. C. au sein de l’A. C. J. B. L’aile la plus remuante du mouvement des jeunes groupait au Cirque des Variétés à Liège 7000 participants ; ce fut inouï, incroyable...

Du Congrès de 1928, retenons qu’il fut la confirmation officielle de la valeur du mouvement, tant du point de vue religieux que social.

Son Éminence le Cardinal Van Roey bénit notre J. O. C.

Le second chant jociste « Jociste où vas-tu » fut lancé et acclamé d’une série de triples bans.

Nous pourrions rappeler pour achever ces détails, le Congrès de 1930 où notre regretté propagandiste Raymond Delplanque prit la parole devant 6.000 membres au Cirque de Bruxelles. C’était la voix de l’ouvrier borain qui sonnait rude mais combien prenante. Son discours rend bien l’atmosphère réaliste de nos congrès et nous ne résistons pas à la tentation de citer quelques extraits.

« Ce ne sont pas avec les connaissances acquises jusque 14 ans à l’école, que les jeunes travailleurs peuvent apprécier et juger leurs devoirs et leurs droits de travailleurs, de fils, de citoyens.

Comment pourrions-nous avec ce que nous avons appris à l’école primaire, distinguer la vérité de l’erreur dans tout ce que nous entendons raconter, sur les patrons, sur le gouvernement, sur le travail, etc... dans les conversations, discussions à l’usine, en train, au cabaret ?

Comment pourrions-nous échapper au bourrage de crâne des journaux, des brochures, des livres et surtout du film ?

Ce sont là les trois sources, combien empoisonnées : les discussions, la presse, le film, par lesquelles la grande masse de nos camarades apprend à juger la vie, les hommes, les choses...

Mais les plaintes sont stériles et les souhaits sont vains si une élite de jeunes ouvriers et employés ne s’attelle pas courageusement à cette tâche magnifique qui consiste à grouper tous les jeunes ouvriers, pour leur enlever des yeux et du coeur toutes les niaiseries, toutes les vulgarités qui sont leurs idoles et hausser leur intelligence vers la clarté d’une vie sérieuse, noble, honnête et prévoyante...

Voilà pourquoi la J. O. C. tout eu préparant à la lueur de ses enquêtes et de ses expériences un Code scolaire nouveau qui posera devant le pays l’urgence des réformes à apporter dans l’éducation des futurs ouvriers, mène obstinément depuis six ans son grand effort éducatif.

Chaque section jociste est un foyer fécond de formation intellectuelle, morale et religieuse.

Toutes les réunions des cercles d’études, des comités, des assemblées générales souvent de plus en plus à développer l’intelligence, la volonté, la réflexion des camarades ».

Mais combien sont plus prenantes ces Semaines d’Études qui ont d’ailleurs dû être décentralisées vu le trop grand nombre de participants.

Qui dira les sacrifices, les efforts d’attention, l’amitié féconde de ces 4 journées annuelles passées ensemble dans l’étude et la joie !

Nous en revenions chaque fois plus pénétrés de la valeur de nos méthodes, plus convaincus de la beauté de la vérié intégrale, plus enthousiastes pour l’action catholique spécialisée, plus réconfortés de ne plus se savoir seul à travailler et à souffrir jocistement dans nos milieux du travail.

Les pèlerinages jocistes.

Rome 1929 — Lourdes 1931.

2 villes, 2 dates !

La répercussion du succès de notre Congrès de 1928 était à peu près calmés qu’au cours d’une petite réunion intime chez M. l’Abbé Cardyn, il nous annonça avec un sourire mi-moqueur son intention de mener les jocistes à Rome. Après la confirmation de la J. O. C. chez nous il fallait que le Pape nous reçut et nous bénît !

Utopie ! Rêve ! Toujours est-il que nous sommes restés sceptiques en cette déclaration. Les jeunes travailleurs à Rome ! Celà ne s’est jamais vu ! Où trouveraient-ils l’argent ? Obtiendraient ils congé ? Que vont penser les parents ? Bref, toutes les objections que la saine prudence humaine commandait. Mais nos arguments étaient impuissants à réduire la volonté décidée de l’Aumônier Général et nous dûmes nous incliner, avec… enthousiasme.

Et 1500 jeunes travailleurs sont allés à Rome, le Saint Père les a vus tous ou beaucoup en costume de travail, leur parlé individuellement ; il a vu leurs larmes de joie et de fierté. Il les a bénis et leur à confié la tâche d’être dans leurs milieux respectifs les « missionnaires de l’intérieur », avec sainte Thérèse de l’Enfant Jésus protectrice.

Rome 1929
Ah ! Cette journée où toutes les âmes étaient tendues vers Lui, le Chef, le Père et où dès le commencement de la réception nous avons pu décharger notre cœur par de délirants « Viva et Papa ».

Ce manque de protocole ne s’était jamais vu au Vatican et pendant que les gardes suisses n’en pouvaient croire leurs veux, les nombreux Monseigneurs s’amusaient de ce spectacle unique.

Après que Tonnet et Devos eurent présenté au Saint Père l’hommage de notre total dévouement à l’Église, Sa Sainteté nous entretint durant 3 /4 d’heure de sa joie de voir dans sa maison ses plus chers fils.

Voici quelques extraits des conseils du Saint Père :

« Quand nous vous voyons si ardents, si industrieux, quand nous vous voyons marcher si franchement et si rapidement par des voies si belles, si élevées et si saintes, Nous ne pouvons pas vous donner d’autre mot d’ordre que celui-ci : « Continuez, chers enfants, continuez toujours comme cela, faites toujours davantage et toujours mieux ce que vous avez si bien commencé. »

Toujours plus haut, c’est la direction dans laquelle vous entraîne votre cœur et dans laquelle vous
conduisent si magnifiquement vos dirigeants.

Vous devez remporter la victoire sur vous-même d’abord, sur les autres ensuite. Vous devez sanctifier les autres par la pratique industrieuse, discrète ou audacieuse suivant les cas, de cet apostolat auquel vous vous livrez : apostolat de la prière et de l’exemple. Or, vous le savez, chers enfants, il n’y a pas de victoire sans force et la force ne peut venir que de l’union.

Mais il n’y a pas d’union sans discipline. C’est la discipline qui rend possible la coordination des forces.

Il y a les missions de l’extérieur et les missions de l’intérieur. Celles-ci sont aussi importantes et parfois plus difficiles que celles-là. Les jocistes sont les missionnaires de l’intérieur ».

Nous pourrions rappeler de cet audacieux pèlerinage bien des souvenirs : Rome, Assise, Venise, Milan, le Lac des 4 Cantons, Montmartre, sont des haltes pour lesquelles il faudrait noircir encore quelques pages, mais passons...

Lourdes 1931.

Un témoignage de reconnaissance à la Reine des Apôtres et un joyeux jubilé de 25 années de prêtrise du fondateur du mouvement jociste.

Cette fois il fallait la masse, l’effort de 929 sera dépassé. 6000 jocistes seront à Lourdes, accompagnés de 160 malades...

On pourrait écrire des pages entières et sur la foi et sur la générosité des pèlerins, qu’il nous suffise de dire que Lourdes a laissé sur tous une profonde impression.

Que de souvenirs ?

Cette messe jubilaire avec les 6.000 jocistes massés en colonnes sur l’Esplanade, la sympathie si conquérante de Mgr Gerlier, et de nos 2 Évêques de Tournai et Liège, l’Assemblée Générale de l’après-midi ou les prières à la grotte, les chemins de croix, les sacrifices individuels, sans oublier les grands sacrifiés ; les malades jocistes toujours à la place d’honneur dans toutes les manifestations, et accompagnés de nos infirmières dont l’entrain n’avait d’égal que leur modestie.

Un des nôtres resta à Lourdes, Bernard De Wever, ouvrier tisserand de Gand, dont la vie offerte depuis longtemps pour la J. O. C. finissait dans le ciel bleu de la Vierge. C’était un jociste 100%, il continue là haut son pèlerinage apostolique.

Quelques campagnes jocistes.

La J. O. C. est un service au profit des jeunes travailleurs.

Les enquêtes menées dans les sections ou à l’occasion des Journées d’Études ne valent qu’en fonction de campagnes à mener pour améliorer la situation des jeunes travailleurs. Voir, juger, agir, trois termes de la méthode jociste, on ne peut les séparer sans faire crouler tout l’édifice.

C’est dans cet esprit que sont lancées les campagnes jocistes : Campagne de moralité dans les milieux professionnels.

Les enquêtes qui ont précédé le Congrès de Namur, en 1926 avaient permis aux jeunes travailleurs de conclure que nos milieux de travail étaient loin d’être des centres de sanctification. La déchéance religieuse chez les jeunes travailleurs avait pour cause l’immoralité, les brimades, l’abandon dans lequel on les laissait.

L’effort de notre enseignement catholique, groupant plus de la moitié des effectifs scolaires, était anéanti en quelques semaines de travail.

Apprenti, il dépendait par sa profession de l’ouvrier qui se chargeait trop souvent, avant tout de le dégrossir ou de le dessaler.

Que dire alors des ateliers ou usines à personnel mixte !

Et dire que fréquemment ce souci de moralité au travail ne préoccupait pas davantage le contremaître ou le patron trop souvent anonyme.

Même des patrons chrétiens ont dû reconnaître qu’ils ignoraient tous ces détails dans leur usine.

Le congrès de Namur a remué l’opinion publique, les jocistes ont senti qu’ils devaient agir et réagir, certains patrons ou certains Directeurs de Sociétés ont fait de grands efforts pour nettoyer les ateliers-écuries.

Qu’il nous suffise de signaler quelques résultats partiels qui ont suivi nos protestations.

Compartiments réservés aux ouvrières dans les trains ouvriers, contremaîtres indignes renvoyés, écrits ou dessins provoquants discrètement effacés par les jocistes, vestiaires séparés dans les ateliers à personnel mixte, et surtout attitude plus crâne de la part des apprentis parce que soutenus par tout le mouvement jociste.

Tout cela n’est qu’un début, beaucoup reste et restera toujours à faire, les habitudes et la faiblesse humaine ont trop facilement le dessus. Mais un fait est certain, c’est qu’il est acquis actuellement dans tous les milieux, que la vie de travail ne peut plus être une occasion de corruption et que par une action forte, coordonnée, vigilante et persévérante, on peut arriver à respirer un air frais et pur partout.

La Campagne pour la sécurité au travail

En mars 1921 un de nos jeunes syndicalistes est victime d’un grave accident à la suite d’une fausse manœuvre à une machine à bois.

Grâce à Dieu et après de longs mois, il se remet mais... cet accident nous ouvre davantage les yeux : il y a quelque chose à faire pour lutter contre les accidents, pour éclairer les esprits et en premier lieu les apprentis.

L’idée de la prévention était encore à son berceau dans notre pays, Tonnet rassemble la documentation sur ce qui se fait à l’étranger et notamment en Amérique et en Angleterre. Des statistiques il ressort que le mal est plus grave qu’on ne le supposait et que si les victimes du travail le sont quelquefois par l’imprévoyance du patron, il faut aussi faire une large part à l’ignorance ouvrière. C’est ce travail d’éducation préventive qui va nous préoccuper dès lors.

Une première exposition d’affiches et d’appareils de sécurité est montée de toutes pièces à Vezin, puis à Tamines.

Le succès est complet, les encouragements tant ouvriers que patronaux nous poussent à réveiller l’attention dans un grand centre industriel : Liège voit bientôt au Palais des Beaux-Arts se dresser une exposition modèle, honorée de la présence du Ministre Heyman, de S. Ex. Monseigneur l’Évêque de Liège, du Dr Glibert, notre compétent conseiller, du Gouverneur de la Province, etc... Cette fois nous voguions au large. Ce fut une révélation et les jocistes furent félicités dans tous les ateliers rouges et autres de cette campagne pour la sécurité au travail. Cette exposition continua sa tournée à Gand, Lichtervelde, Charleroi et partiellement dans quelques écoles professionnelles...

Le premier résultat était acquis ; la J. O. C., la première avait attiré l’attention de l’opinion publique mais en particulier de la classe ouvrière, sur le problème des accidents et sur les moyens éducatifs à employer pour les prévenir.

A côté de la sécurité des âmes, nous voulions la sécurité des corps, l’un ne va pas sans l’autre pour un chrétien et nos efforts ont conquis ceux qui nous prenaient pour des enfermes dans une tour d’ivoire.

Je dois à la vérité de dire que e est a la persévérance. à l’attention toujours en éveil, au sens ouvrier, de Fernand Tonnet que nous devons les succès de cette campagne préventive.

La campagne pour la préparation au travail.

70.000 enfants quittent chaque année nos écoles. Le choix d’un métier, la recherche d’une place, sont des problèmes bien difficiles à résoudre, lorsqu’on n’a que sa bonne volonté. Des premiers pas dans la vie de travail dépendent la formation professionnelle, l’avenir de l’ouvrier qui n’a comme capital que sa valeur morale et technique, l’avenir aussi de sa future famille.

C’est à aider, à conseiller, les futurs apprentis que la J. O. C. dès sa fondation s’est préoccupée.

Dès le début elle a collaboré avec l’office intercommunal d’Orientation Professionnelle de Bruxelles que dirige M. Christiaens et par après plusieurs propagandistes de J. O. C. ayant obtenu le diplôme de conseiller d’orientation professionnelle ont constitué progressivement des bureaux d’orientation, spécialement à Bruxelles, en accord avec la Bourse Libre du Travail « Concordia » et les médecins et instituteurs, ainsi qu’à Namur et Florennes.

Le gros effort tenté a été d’écarter de certaines professions les éléments qui n’avaient pas les aptitudes indispensables et dans ce sens, l’examen médical a un rôle de premier plan.

Ce travail tout en étant négatif nous a permis cependant d’éviter pas mal d’impairs à de nombreux apprentis au début de leur nouvelle vie.

Mais, pour être complet, ce travail doit être préparé dès la dernière année d’école. Il faut ouvrir les yeux des écoliers sur les réalités de la vie de demain, il faut préparer l’ambiance « travail », il faut mettre en honneur la valeur morale, sociale, surnaturelle du travail. Une série d’entretiens intimes au cours de la dernière année d’école par des propagandistes jocistes fut organisée dans les écoles. Mais c’est surtout l’action lente, mais combien nécessaire des groupes préjocistes qui prépare une nouvelle génération.

C’est une des gloires de la J. O. C. d’avoir compris que seule une organisation de jeunes travailleurs était vraiment adaptée pour solutionner un tel problème. Le contact permanent avec les réalités tant familiales que professionnelles, l’influence constante et le contrôle nécessaire qu’elle peut exercer sur la vie de ces débutants au travail, coordonne sa tâche et la met à même d’être demain par son service de préparation au travail, ses bureaux d’Orientation Professionnelle, un rouage important de la vie publique et sociale.

Pour les malades jocistes.

Une visite dans un sanatorium, la vue de l’abandon moral dans lequel sont laissés les malades, le peu de réconfort dont Us sont souvent entourés, voilà de quoi créer un nouveau service jociste.

En quelques semaines un service plus régulier de correspondance avec les malades fonctionna, des journaux sont envoyés chaque semaine, quelques fois même des friandises que des sympathisants envoient au Secrétariat Général.

Puis ce sont les visites au chevet des handicapés du travail, ce sont les contacts d’âme, ce sont les confidences qu’une âme féminine sait faire éclore, c’est la révélation de générosités exceptionnelles dans la souffrance, comme celle d’un Bouchard. A ce propos, je me rappelle une conversation que nous avions avec le Père Plus en 1928 : « Mettez, disait-il, dans les atouts de la J. O. C. les souffrances de quelques malades. » Cette formule est en voie de réalisation aujourd’hui. A côté de l’armée active du travail, nous avons les actifs de la souffrance et Dieu sait si leur aide est nécessaire aux premiers, aussi ne faut-il pas douter des possibilités du jocisme.

Les autres campagnes.

Nous pourrions parler de la campagne en faveur des soldats et en faveur des Jeunes Chômeurs. Bien que ce soient deux réalisations bien adaptées aux nécessités actuelles à propos desquelles d’autres plus au courant pourraient écrire, qu’il nous suffise de dire que la campagne des jocistes à l’armée a ouvert les yeux sur des situations matérielles et morales dont certains ignoraient, dit-on, l’existence.

Des améliorations ont été obtenues, tant du côté moral que du côté nourriture, nos jocistes ont droit de cité et leur action pour discrète qu’elle est, n’en est pas moins féconde.

A la caserne, comme ailleurs il faut une atmosphère saine et pure pour tous.

Quant à la campagne pour les Jeunes Chômeurs qui débuta il y a trois ans par de généreuses initiatives de la fédération de Bruxelles, disons qu’elle se poursuit actuellement d’une manière très heureuse dans les fédérations mais spécialement au Camp de Tourneppe qui a déjà vu défiler en 6 mois plus de 250 jeunes chômeurs, ainsi qu’à l’atelier de réparations à la Centrale jociste et à propos desquels les journaux ont déjà parlé.

Il faudrait écrire des pages sur cette action d’entr’aide discrète de tous genres de certaines fédérations jocistes, vestiaires, placement, cure de repos aux sous-alimentés, remontage moral, etc... sans oublier le réconfort que constitue le journal « Le Jeune Chômeur », journal de combat des jeunes chômeurs.

Certes, il y aurait encore beaucoup à dire sur d’autres services non mentionnés, mais nous nous excusons de devoir écourter, quitte à reprendre un la suite de ces souvenirs…

Cependant nous ne pouvons finir sans saluer avec fierté la dernière initiative du mouvement : la « Centrale Jociste ».



Le rêve que nous faisions mansardes de la rue Plétinckx se réalise : avoir à Bruxelles un grand centre abritant tous les services pour jeunes travailleurs. La Maison Jociste, de la Rue du Palais, débordait à son tour et la Providence a pourvu maintenant aux besoins urgents. Jacques Meert dirige là-bas avec énergie les premières manœuvres et reste ainsi un des piliers du mouvement au service duquel il s’est mis sans trêve depuis près de 15 ans.

Conclusion.

Avec le Congrès du 25 août revient à la mémoire tout ce formidable travail jociste.

Chacun dans son rayon d’action a mis à l’édifice sa petite pierre, chacun y a mis ses belles années, son enthousiasme, sa foi, quelquefois même sa santé et a permis ainsi le lancement de la J.O.C. internationale.



Aussi je ne puis terminer ces lignes sans saluer la mémoire de ceux qui, confiant dans la parole du Chanoine Cardyn ont donné au mouvement le meilleur d’en mêmes et qui, épuisés par l’apostolat sont allés auprès d’autres apôtres remplira rôle fraternel d’intercesseurs.

Ils ont compris, ils ont agi !

La trouée est faite, les autres suivent…


SOURCE

La Cité Chrétienne, N° 211-212, 5-20 août 1935.


Paul Garcet avec deux jeunes jocistes